Peu de secteurs suscitent autant de débats passionnés depuis des années que la filière nucléaire. 

Sujette à controverse en raison des risques potentiels pour l’environnement et la sécurité, elle est aussi porteuse de promesses d’avenir sur la question d’un mix énergétique plus propre ou encore de la souveraineté énergétique.

Comment envisager ces différentes problématiques qui s’imbriquent d’un point de vue éthique ? Peut-on considérer que la filière nucléaire française évolue profondément en ce sens ? 

Transparence, sécurité, environnement et stockage : les grands défis de la filière nucléaire 

On peut résumer ainsi les principaux enjeux soulevés par la filière – et dont dépendent fondamentalement sa dimension éthique : 

  • Transparence et participation citoyenne : le nucléaire impliquant des risques potentiels importants pour la santé et l’environnement, il est crucial que les décisions concernant l’exploitation et la gestion des installations nucléaires soient prises en toute transparence, avec une participation citoyenne accrue.
  • Gestion des déchets radioactifs : ces derniers restent une préoccupation majeure pour la filière. Des progrès significatifs ont cependant été accomplis en matière de stockage et de traitement des déchets.
  • Sûreté et sécurité : les événements de Fukushima en 2011 ont rappelé l’importance de la sûreté et de la sécurité. Depuis, des efforts considérables ont été déployés pour améliorer la sécurité des installations nucléaires, avec notamment la mise en place de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) en France.
  • Impact environnemental : le nucléaire est souvent critiqué pour son impact environnemental, en particulier en matière de production de déchets radioactifs et de consommation d’eau. 

Où en est-on sur ces points et sur les autres éléments clés pour une filière nucléaire éthique et durable ?

Le nucléaire est une filière énergétique complexe, mais dont l’importance est indéniable pour la France en termes de production d’énergie, de création d’emplois et de souveraineté énergétique. 

Si les questions éthiques et environnementales liées au nucléaire sont légitimes, le secteur évolue pour répondre par l’innovation aux défis qui lui sont posés.

Sur le plan de la gestion des déchets radioactifs par exemple, dont Jancovici, ingénieur et spécialiste de la transition énergétique, estime d’ailleurs qu’il s’agit “de la principale question éthique liée à l’utilisation de l’énergie nucléaire”, la filière nucléaire française s’engage dans des programmes de recherche pour réduire leur quantité et en améliorer la gestion. 

Des innovations telles que la séparation-transmutation permettent de réduire la durée de vie des déchets et de récupérer des matières valorisables. Des projets de stockage géologique profond sont également en cours, comme le projet Cigéo de l’ANDRA, qui vise à stocker les déchets de haute activité à 500 mètres sous terre dans la Meuse. 

On peut de manière plus large citer différentes solutions adaptées à chaque type de déchet : 

  • Les déchets les plus dangereux sont stockés dans des centres de stockage spécifiques, comme celui de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) à Bure. Ce centre de stockage est conçu pour isoler les déchets les plus dangereux de l’environnement pendant plusieurs milliers d’années.
  • Les déchets de faible et moyenne activité sont, quant à eux, stockés sur les sites de production. La France a également mis en place un plan de gestion à long terme des déchets. 

L’innovation technologique sert aussi à améliorer la sûreté des installations et l’efficacité énergétique. Des développements tels que de nouvelles générations de réacteurs (malgré l’abandon d’ASTRID), ou la fusion nucléaire en recherche fondamentale, permettent d’envisager une filière nucléaire encore plus sûre et performante.

De manière encore plus concrète et notamment depuis Fukushima, la France dispose d’un cadre rigoureux pour assurer la sécurité de ses centrales à différents niveaux : 

  • L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) sont régulièrement consultés sur les grandes questions nucléaires ; 
  • Des normes post-Fukushima ont été mises en place, notamment via l’installation de Diesels d’ultime secours (DUS ) et la mise à jour des plans d’urgence ; 
  • La maintenance (et les investissements de formation qui y sont liés) a été renforcée ;

Reste bien sûr la question brûlante de la transparence et de la participation citoyenne en matière de choix nucléaires. Si cette dimension peut encore être nettement approfondie, l’existence de démarches participatives visant à impliquer les citoyens dans un certain nombre de décisions montre que le débat public peut trouver sa place dans le secteur (on peut citer à cet égard le projet Cigéo en 2013).

A l’heure actuelle par exemple, la 5e édition du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) fait l’objet d’un débat public que vous pouvez consulter sur le lien indiqué.

Santé publique et pollution : des données de poids en faveur du nucléaire

Les pays qui font le choix du recours aux centrales au charbon plutôt qu’au nucléaire, comme l’Allemagne, la Chine ou encore la Pologne, ont un lourd prix à payer tant au niveau de la pollution que de la santé.

Pour rappel, « le charbon contribue fortement à la pollution locale et aux changements climatiques. Il génère 44 % des émissions mondiales de CO2 » (source : FMI). De toutes les énergies fossiles, c’est d’ailleurs le combustible le plus polluant et la 1ère cause du réchauffement climatique.

Voici quelques chiffres pour illustrer la différence de mortalité entre les centrales au charbon et les centrales nucléaires :

  • Selon une étude de l’Agence internationale de l’énergie, les émissions de particules fines provenant de la combustion du charbon ont causé environ 18 000 décès prématurés en Europe en 2015.
  • D’après une étude menée par l’Organisation mondiale de la santé, l’accident de Tchernobyl en 1986 a causé environ 4 000 décès dus à des cancers de la thyroïde chez les personnes qui ont été exposées à de fortes doses de radiation.
  • En comparaison, selon une étude menée par le Centre for Climate and Energy Solutions, l’énergie nucléaire est environ 100 fois moins mortelle que l’énergie au charbon en termes de décès par unité d’énergie produite. Cette étude a révélé qu’environ 90 décès sont attribuables à chaque térawatt-heure (TWh) d’énergie produite à partir du charbon, contre environ 0,1 décès par TWh d’énergie produite à partir de l’énergie nucléaire.

Ces chiffres illustrent clairement le fait que les centrales au charbon ont un bilan de mortalité beaucoup plus élevé que les centrales nucléaires en raison des émissions de polluants atmosphériques qu’elles produisent.

De ce point de vue, le nucléaire représente un choix éthique en matière de santé publique.

Renforcer la souveraineté énergétique nationale grâce au nucléaire : un choix éthique dans un contexte géopolitique tendu 

Le nucléaire joue un rôle crucial dans la souveraineté énergétique de la France. Il permet en effet d’acquérir une indépendance énergétique dont peu de pays disposent en produisant plus de 70% de son électricité par ce biais. 

Cette indépendance énergétique donne à la France plus de marge de manœuvre pour pouvoir assumer des choix éthiques et responsables dans ses échanges avec ses partenaires internationaux. En limitant la dépendance à des pays étrangers parfois instables ou autoritaires pour l’approvisionnement en énergie, le pays peut assumer des choix alignés avec ses valeurs sans être tributaire de fournisseurs aux visions opposées.  

Comme le souligne Jean-Marc Jancovici, « le nucléaire a permis à la France d’acquérir une indépendance énergétique que peu de pays ont. Nous avons des choix plus éthiques à faire sur l’ensemble de notre politique étrangère. »

Responsabiliser, faire évoluer et diversifier : inscrire le nucléaire dans un mix énergétique global

Ces progrès considérables de la filière ne doivent pas couper court aux réflexions sur un mix énergétique plus diversifié incluant des énergies renouvelables.

Certes, comme l’a rappelé Alain Mérieux, président de l’Institut Aspen France, « le nucléaire est l’énergie la plus propre et la plus respectueuse de l’environnement à grande échelle, car il émet très peu de gaz à effet de serre et ne dépend pas des conditions météorologiques. Il permet donc de répondre aux besoins énergétiques de manière plus stable et plus prévisible, tout en réduisant les émissions de carbone. »

Mais pour revenir à Jancovici, “il ne s’agit pas de choisir entre nucléaire et renouvelable, mais de mettre en place les deux en même temps. Le nucléaire est une énergie fiable et peu émettrice de gaz à effet de serre, mais il faut aussi développer les renouvelables pour compléter le mix énergétique et assurer la transition énergétique.« 

Que retenir de tout cela ? 

Si le chemin est encore long pour parvenir à une filière capable de répondre intégralement aux questions éthiques et environnementales qui lui sont posées, les acteurs français (publics mais aussi acteurs clés privés de la filière) sont clairement engagés dans des réflexions et investissements massifs en faveur de la R&D, du développement de nouvelles technologies plus sûres et plus propres, le tout sur fond de débat public qui contribue à faire évoluer les débats.