La Toyota Miraï sortie en 2014 est le premier véhicule grand public à inclure une pile à combustible et un réservoir d’hydrogène gazeux à 700 bar. Avec une autonomie de 500km par plein, émettant uniquement de l’eau et de la chaleur comme sous-produits, une recharge en quelques minutes et la capacité d’embarquer encore plus d’hydrogène, au premier coup d’œil la voiture électrique à l’hydrogène a tout pour séduire l’industrie automobile.
Pour le particulier, la solution semble séduisante, c’est au niveau de la filière automobile entière que le bât blesse.
Est-il intéressant de remplacer le parc automobile actuel ?
Pour mieux comprendre la problématique, il faut encore une fois regarder en amont de la chaîne d’approvisionnement.
Actuellement, 95% de l’hydrogène produit dans le monde l’est à partir du vaporeformage de méthane, processus émetteur de gaz à effet de serre comme le CO2. On estime que ce procédé émet 9 kg CO2 pour produire 1 kg d’hydrogène. La combustion de carburant fossile comme l’essence ou le diesel émet également du CO2. Pour produire la même énergie que le kilogramme l’hydrogène, il faut 3.3kg de diesel dont la combustion engendre des émissions de 9.5 kg CO2, très proche de la valeur obtenue pour l’hydrogène¹.
On constate qu’avec la production actuelle, l’hydrogène ne permet pas de gain significatif en terme d’émission de CO2 par rapport au diesel. L’utilisation du diesel dans un moteur à combustion émet cependant d’autres émissions comme des oxydes d’azote (NOx)s et des particules fines qu’une pile à combustible n’émet pas. D’un point de vue émission de gaz à effet de serre, le gain de l’utilisation de l’hydrogène reste cependant faible.
Dans le cas de l’hydrogène cependant, la capacité d’amélioration est supérieure car l’émission de CO2 est centralisée là où se trouve la production d’hydrogène alors que pour un moteur diesel, cette même émission est décentralisée (elle se trouve en sortie du pot d’échappement). Dans le cas de la production d’hydrogène, il est donc possible d’imaginer des scénarii de capture de ce CO2, ou bien d’utilisation de ce CO2 pour la réalisation de cogénération (CO2 + H2 = méthanol). A l’heure actuelle, il n’y a cependant aucune méthode déployable à grande échelle permettant de récupérer ce CO2.
L’hydrogène vert alors ?
La production d’hydrogène vert représente actuellement 4% de la production mondiale. Elle nécessite l’utilisation de source d’énergie non fossile et décarbonée comme le vent, le soleil ou encore le nucléaire. La méthode la plus simple est de produire l’hydrogène à partir d’un électrolyseur alimenté en électricité. Les électrolyseurs actuels possèdent des rendements relativement bons, supérieure à 80% avec en plus une marge d’amélioration. Le problème de la production de l’hydrogène vert ne vient donc pas du rendement de l’électrolyseur mais bien de l’électricité elle-même à fournir en amont.
Le volume total de carburants routiers consommés en France en 2018 s’élève à 50 millions de mètres cubes. Pour remplacer l’intégralité de ces carburants par de l’hydrogène, la production d’électricité nécessaire représente l’équivalent de 36 centrales nucléaires du type EPR de Flamanville². Il faudrait donc plus que doubler la production électrique d’origine nucléaire actuelle pour alimenter l’ensemble des véhicules responsable du trafic routier. Des calculs similaires avec les énergies renouvelables montrent l’ampleur de la tâche. Il faudrait par exemple une surface équivalente à l’Ile de la Réunion recouverte de cellules photovoltaïques pour subvenir à ces besoins énergétiques supplémentaires. Il est également possible d’imaginer d’autres moyens de production à grande échelle de l’hydrogène comme les centrales nucléaires de 4ème génération (cf. Cycle Soufre-Iode et Réacteur nucléaire à très haute température).
Ces besoins importants en énergie électrique imposent une mise à niveau du réseau électrique français pour accueillir ces nouvelles puissances ainsi que des investissements importants sur les systèmes de production électrique. Finalement, un maillage de stations-service en hydrogène, similaire à celui existant pour les hydrocarbures doit être mis en place, nécessitant des investissements comparables à ceux développés pour la voiture thermique. A court terme, il paraît donc difficile de remplacer le parc automobile actuel par des véhicules électriques et d’en tirer un gain intéressant au niveau écologique.
Quelles solutions ?
Avec la mise en place d’une filière recyclable bien développée, notamment pour les métaux rares et les ressources stratégiques, les véhicules électriques proposent tout de même des perspectives intéressantes. Pour les voitures des particuliers, la compétition avec les batteries sera rude de par l’avance qu’ont prise les stations de recharge de batteries à l’échelle du territoire par rapport à celles d’hydrogène. Là où l’hydrogène peut se démarquer c’est au niveau des flottes de véhicules : utilitaires, chariots-élévateurs, taxi, bus, poids-lourd. Typiquement ces flottes de véhicules ont des impératifs de rentabilité et ne peuvent se permettre des temps de recharge supérieures à celui d’un remplissage de réservoir classique. Les carburants fossiles étant très énergétiques et sous forme liquide, le débit à la pompe d’une station-service classique implique des débits énergétiques de l’ordre de dizaines de mégawatt (MW) !
Parmi les flottes de véhicules, l’exemple le plus probant est celui des chariots-élévateurs dans les plateformes logistiques. Ces chariots-élévateurs doivent être opérationnelles en permanence et ne peuvent attendre une recharge électrique. Un autre exemple est celui de certaines flottes de taxis, comme la flotte de taxis Hype qui participent de plus à la création de l’infrastructure de recharge à l’aide de partenariats.
Pour les poids-lourds comme les bus de ville ou les camions de marchandise, l’hydrogène peut également se présenter comme une bonne alternative. Un bus de ville ou un poids-lourd consomme par exemple environ 30L de carburants aux 100 km . Une telle consommation est difficilement compatible avec des batteries pures car il faudrait une masse trop importante pour assurer une autonomie intéressante pour l’exploitant. L’hydrogène, grâce à sa bonne densité énergétique (par rapport aux batteries) peut tirer son épingle du jeu et proposer des autonomies similaires aux carburants fossiles pour ces applications.
A long terme, l’objectif « d’hydrogénéisation » des véhicules n’est pas impossible mais nécessite une planification financière sur plusieurs décennies pour faire monter en parallèle les infrastructures (production électrique décarbonnée, stockage, distribution) et le parc de véhicules.
Actuellement, les flottes de véhicules peuvent bénéficier le plus de l’hydrogène. Cependant, à l’instar de la problématique de l’œuf et de la poule, on ne peut pas avoir de véhicules à l’hydrogène en circulation sans stations de recharge, mais une station de recharge ne sert pas à grand-chose sans véhicule à recharger.
Notes :
¹ Ce calcul d’énergie ne prend pas en compte le rendement de la chaîne de traction d’environ 40% pour l’hydrogène contre 20-30% pour le moteur thermique.
² Type EPR de Flamanville (2660 MW), avec un rendement d’électrolyse de 80% et facteur de charge de 75%